papyrural, Le blog d'Armand PAQUEREAU

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Quand la bienfaisance dévalorise le travail

La crise sanitaire a pour effet de mettre sur le devant de la scène des difficultés qui étaient présentes, mais ne frappaient pas l’opinion. La récente décision du Président Macron de fournir « pour tous les étudiants qui le demandent, des repas à 1 euro au restaurant universitaire, y compris pour ceux qui ne sont pas boursiers, les étudiants internationaux. » est une solution courageuse et salvatrice pour nombre d’entre eux.

La grande enseigne LECLERC a surenchéri en proposant 21 repas respectant les normes nutritionnelles européennes pour 21 Euros. Ces menus prennent en compte les besoins nutritionnels d’un adulte, soit environ 2000 calories. Chaque semaine, l’enseigne s’engage à proposer des listes de 4 paniers différents.

Cette médiatisation a entraîné de nombreuses initiatives similaires : restaurant parisien, CROUS à destination des étudiants, etc. La précarisation des ressources de nombre de citoyens engendrée par les fermetures et interdictions liées à la crise sanitaire du COVID, a révélé la faculté de réaction et d’adaptation de nos compatriotes. Et il est heureux de constater que les plus fragiles sont secourus dans ce qui est le plus vital, la nécessité de se nourrir.

Il convient pourtant de se poser quelques questions : comment peut-on proposer un repas de 2000 calories à 1 € ? La ménagère qui chaque jour fait ses courses pour nourrir sa famille sait bien que la réalité de son budget est bien au-delà de ce prix ! Il faut donc que ceux qui proposent cette solidarité alimentaire opèrent une compensation entre leurs marges avec d’autres produits. Prise intrinsèquement, cette proposition de repas à 1€ est illégale, car la distribution n’a pas le droit de vendre à perte (Art L 420-5 du code du commerce). Les cantines ou autres organismes de solidarité bénéficient de subventions ou d’approvisionnements de récupération pour pouvoir boucler des budgets alimentaires aussi contraints.

Cependant, l’inconscient collectif risque de prendre ce prix comme une référence basique vers laquelle devraient tendre tous les prix alimentaires. On se heurterait à une dévalorisation de ces produits et à une baisse généralisée de leurs prix. Ainsi, pour obtenir une alimentation à très bas prix, on aboutirait à la non-rémunération du producteur. Dans cette optique, la citation de Voltaire se révèle toujours d’actualité : « on a trouvé, en bonne politique, le secret de faire mourir de faim ceux qui en cultivant la terre font vivre les autres ».

La course aux bas prix est une déflation suicidaire. Pour acheter moins cher, on oblige le producteur à baisser ses prix, donc sa rémunération. Mais comme tout consommateur doit être producteur pour avoir les moyens d’acheter, s’il baisse ses prix, il a moins de disponibilité pour acheter, il doit donc exiger d’acheter moins cher, donc de baisser sa rémunération. C’est la spirale vers le zéro.

La philosophie du moment est de tendre vers la gratuité universelle. Le revenu universel en est l’illustration. On peut se demander comment un individu peut prétendre à un revenu justifié par sa seule réalité d’exister. Depuis la nuit des temps, la vie collective et les relations des peuples ont été basées sur les échanges. Du troc à l’invention de la monnaie, l’acceptabilité de l’échange équilibré a permis les relations paisibles basées sur l’équité. L’iniquité des échanges a toujours généré des frustrations, des conflits, des affrontements, des meurtres.

Être nourri pour rien n’est pas envisageable. La nourriture n’est que le résultat du travail de certains hommes, qui pour produire ces denrées ont besoin du travail d’autres hommes qui leur fournissent des outils, des fertilisants, ces derniers ayant besoin du travail d’autres hommes pour acheminer, conserver, distribuer ces denrées sans lesquelles personne ne pourrait survivre.

Prétendre obtenir de quoi vivre sans fournir en échange aucun effort de production conduirait immanquablement à l’effondrement général, les biens indispensables à la survie de tous ne se créent pas sans le travail de certains. Et si ceux qui font l’effort de produire ne sont pas récompensés de leur effort, ils cessent de faire cet effort, et se contentent de faire comme ceux qui profitent, et plus rien ne se crée.

Il faut donc que la valeur des produits tienne compte de l’effort de ceux qui produisent, donc soit le reflet des coûts de production induits. Une baisse exagérée du prix des produits ou des services est une dévalorisation de la valeur de l’effort des producteurs ou des travailleurs et un risque pour la société.

La spontanéité de l’acheteur qui privilégie toujours le plus pour moins cher conduit à sa propre ruine. Pour répondre à cette impulsion, les entreprises françaises ont délocalisé leurs productions dans des pays où les salaires et les charges de production étaient plus faibles. Il en a résulté une augmentation du chômage, donc une diminution des capacités d’achat, et une dépendance de notre pays relativement à des biens indispensables (alimentation, médicaments, etc.).

Cet inconvénient fait la joie des écologistes, qui voient ainsi la pollution induite par la production se délocaliser (l’odeur de la fiente des poulets brésiliens consommés en France ne traverse pas l’océan). Ils veulent interdire l’usage du glyphosate en France mais ne s’insurgent pas contre l’importation de produits qui en contiennent des résidus.

Le grand risque de ces délocalisations, est que les producteurs étrangers ne nous fourniront pas les produits qui nous manquent si nous n’avons pas les moyens de les rémunérer à leur juste valeur. On a bien vu le problème avec les masques, les médicaments, les vaccins…

Le risque est grand que les prix des biens alimentaires, déjà comprimés à un minimum qui ne laisse pas aux agriculteurs un revenu décent, en étant encore plus diminué, finisse de faire disparaître un très grand nombre de paysans et nous rende encore plus tributaire des importations. L’agriculture est en passe de subir le même sort que les charbonnages, les aciéries, le textile, l’industrie automobile : une délocalisation mortifère.

Le prix d’un produit doit être le reflet du travail et de l’effort qui ont participé à son élaboration. Toute autre conception ne peut que tôt ou tard se révéler délétère.



10/03/2021
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