papyrural, Le blog d'Armand PAQUEREAU

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Propriétaire terrien, quel avenir ?

Le mode d’exploitation des terres agricoles est en grande mutation. Le faire valoir direct est en perte de vitesse au fur et à mesure des départs à la retraite où les terres libérées viennent agrandir les exploitations voisines par le biais de la location.

En France, selon les statistiques de l’INSEE [1], le faire-valoir direct représentait en 2013 5,855 millions d’hectares et le fermage 21,885 millions d’hectares.

 

La majorité des agriculteurs est traditionnellement très attachée à la notion de propriété. Cependant, au vu de l’évolution de l’économie et des contraintes associées, il peut être intéressant porter quelques réflexions prospectives sur le sujet.

Est-il pertinent de mobiliser des capitaux qui vont plomber la trésorerie de l’exploitant tout au long de sa carrière pour transmettre un cadeau empoisonné à sa succession. Après que son parent ait passé sa vie à rembourser les emprunts d’achat du foncier, le successeur de l’exploitant va devoir acquérir une partie importante du patrimoine et s’engager lui aussi dans la galère de la dépendance aux emprunts. Il sera même peut-être obligé de vendre une partie du patrimoine chèrement acquit pour payer les droits de succession, les montants des abattements et leur durée actuelle ayant été drastiquement réduits. Il faut actuellement 45 ans pour transmettre à un seul héritier une exploitation d’une petite centaine d’hectares hors droits de succession, mais avec des frais de notaires !

Certes, le capital acquis au long de la carrière est une garantie d’abondement pour des retraites insuffisantes. Mais au regard du rendement du fermage relativement au capital, ce placement n’est pas une rente de situation, surtout avec des prix agricoles qui ne permettent pas toujours aux fermiers de s’acquitter de leurs loyers.

Le rendement financier d’un ha de vigne en Cognaçais, compte tenu de l’obligation du maintien de l’état des plantations imposé par l’article 1719 du code Civil peut varier de -0.33% à 1,96% à l’intérieur des limites de fermage imposées par l’arrêté préfectoral Charente (0,6 à 1,8 Hl AP/Ha) avant prélèvements sociaux (15,5%) et impôt sur le revenu. Pour les terres, le rendement maxi du fermage avant impôts fonciers, prélèvements sociaux et IRPP est en Charente de 3,20%.

La notion de propriété de l’article 17 de la convention des droits de l’homme s’est rétrécie comme peau de chagrin. Lorsqu’il veut mettre ses terres en fermage, le propriétaire n’a même plus le choix de son fermier, tant les schémas départementaux des structures peuvent lui imposer son pire ennemi, sans compter la composition des CDOA où les représentants des propriétaires, voire des agriculteurs, sont numériquement très minoritaires.

Quant à reprendre possession de ses terres au terme d’un fermage, les conditions sont tellement complexes et restrictives que l’opération se termine souvent au Tribunal Paritaire des Baux Ruraux, où le fermier fait très fréquemment l’objet de sollicitude.

Se pose alors un dilemme : face à la raréfaction des terres cultivables, à l’augmentation des populations et à la guerre menée contre les moyens de protection de nos cultures, on pourrait en déduire que la terre est une valeur refuge sûre. Il semblerait que des investisseurs puissants portent le même raisonnement, tant en France [2] que dans de nombreux pays. Les agriculteurs possèdent « l’arme alimentaire », mais sont incapables de s’en servir.

Cependant, au vu des rendements financiers et des contraintes précédemment énoncées, le statut d’agriculteur ne serait-il pas plus favorable en tant que salarié de ces grands groupes investisseurs qu’en tant que propriétaire exploitant ?

A voir avec quelle rapidité les salariés peuvent bloquer une économie par le simple jeu de leur droit de grève, contrairement aux manifestations des paysans dont tout le monde se moque et qui ne leur apporte si peu, on imagine l’embarras d’un groupe financier dont les employés refuseraient de faire la traite, et la force de frappe de tels salariés.

Faut-il persévérer à maintenir un statut où l’on a perdu ce qui étaient les motivations principales de notre vocation : liberté d’entreprendre et autonomie des décisions ?

La réponse est peut-être dans le constat du résultat de toute une vie : pour une carrière complète, les salariés agricoles perçoivent une retraite mensuelle moyenne de 1700 € alors que celle des non-salariés n’est que de 700 € ![3]

Travailler toute une vie pour posséder des dizaines, voire des centaines d’hectares quasiment intransmissibles pour finir sur quelques mètres carrés mérite non seulement une réflexion individuelle, mais aussi collective, que je soumets à l’appréciation de chacun.

Armand PAQUEREAU

31 mai 2016

 

[1] http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF10214

 

[2] http://www.lefigaro.fr/societes/2016/04/13/20005-20160413ARTFIG00138-des-terres-agricoles-rachetees-par-un-mysterieux-groupe-chinois-dans-le-berry.php

[3] http://www.cor-retraites.fr/IMG/pdf/doc-2828.pdf  (Page 102)

 



08/11/2020
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