La guerre en Ukraine : un futur inquiétant pour l’agriculture
La guerre en Ukraine : un futur inquiétant pour l’agriculture
L’homme n’étant pas conçu pour vivre isolé, la vie harmonieuse est basée sur l’équilibre des échanges. Depuis le troc du temps des cavernes jusqu’au commerce moderne, la paix, la stabilité et la sécurité de la vie quotidienne ne peuvent subsister que par des échanges équitablement consentis dont les clauses sont réciproquement respectées.
Le récente invasion de l’Ukraine par les troupes russes vient de mettre à mal ce fragile équilibre pour une durée qu’il serait présomptueux d’évaluer. Les dispositions de coercition envisagées contre la Russie et leurs conséquences vont donc bouleverser le quotidien du monde de manière difficilement estimable, mais sont on peut présager la réalité de beaucoup d’entre elles.
L’agriculture française (et européenne), dépendante de la Russie
♦ 30% des importations d'engrais de l'UE sont d'origine russe
♦ Russie + Ukraine = 1er exportateur mondial de blé et 2ème exportateur d'orge
♦ La Russie et l’Ukraine fournissent également 79 % des exportations mondiales en huile de tournesol.
♦ L'Ukraine 3ème exportateur de maïs
♦ La Russie 1er exportateur d'engrais azotés
♦ Russie + Biélorussie = 1er exportateur d'engrais potassiques.
♦ La Russie représente désormais 28 % des importations françaises de produits pétroliers raffinés (12 % en 2002) et 17% des importations de gaz.
En maîtrisant les matières premières, gaz naturel et engrais azotés, mais aussi les produits alimentaires, la Russie se trouve en position d'arbitrage de notre autonomie alimentaire.
L'Union Européenne a abandonné dans les années 1990 son objectif d'autosuffisance alimentaire, au profit de mesures privilégiant le pouvoir d’achat du consommateur et la défense de l'environnement.
Cette politique a pour effet d'augmenter les importations de produits agricoles à bas prix et qui ne respectent pas les normes européennes.
L’impact de l’embargo prévisible des exportations russes et ukrainiennes de céréales sur les prix reste temporairement différé par notre stock existant, mais ce stock est tombé à un niveau bas fin 2021.
A contrario, après les sanctions occidentales adoptées qui avaient suivi l'annexion de la Crimée en 2014, la Russie a renforcé ses investissements dans l'agriculture, en devenant autosuffisante en céréales et quasiment en viande porcine et poulets !
L’arrêt de l’importation de céréales russes et ukrainiennes
Les embargos sur les échanges en provenance des pays en guerre vont désorganiser le marché des céréales. Dans un premier temps, cela va supprimer la concurrence des produits habituellement importés donc diminuer l’offre et influer à la hausse sur les prix. Cela pourrait être temporairement bénéfique pour les céréaliers français. Cependant, l’augmentation des prix des fertilisants, notamment azotés, sera probablement supérieure aux gains obtenus par la hausse des cours induite par la diminution de l’offre. De plus la pénurie d’approvisionnement d’azote qui se fait déjà sentir fait que de nombreux agriculteurs ne peuvent couvrir leurs besoins de fertilisation. Cela se traduira par une baisse significative des rendements des futures récoltes. Sans compter sur la baisse de la valeur boulangère des blés panifiables, un taux de protéines trop bas dépendant de la fertilisation azotée, déclenchant un déclassement du grain récolté.
L’augmentation du prix des céréales sera fatale pour nombre d’éleveurs, étranglés par les prix élevés de l’aliment et l’aval des filières qui ne jurent que par des prix bas aux consommateurs.
A tout cela s’ajoute l’augmentation drastique du prix des carburants qui, sans un ajustement du prix des produits alimentaires issus de l’agriculture, ne permettra pas à un très grand nombre d’exploitations de subsister. Toutes les productions seront impactées.
Les exportations vers les pays en guerre
Les producteurs français seront impactés par l’arrêt des exportations. Cela avait été le cas en 2014 lors de l’embargo russe décidé par le premier ministre Medvedev en réponse aux sanctions occidentales contre Moscou.
Les producteurs de Champagne, qui ont exporté en 2020 1,9 million de bouteilles en Russie sont doublement pénalisés, la Russie leur ayant interdit d’apposer le mot champagne sur leurs bouteilles et devant se contenter de la mention « vin pétillant ».
Les producteurs de Cognac, ont exporté en 2020 pour 12 970 000€ de cognac vers la Russie, en baisse de 21,8% par rapport à 2019 (source BNIC).
En 2021, la Russie a importé pour presque 198 millions d’euros de vins depuis notre territoire. Cela en fait le 15e marché pour les producteurs français, d’après le magazine Réussir qui s’appuie sur les chiffres de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France (FEVS).
Toutes ces ventes qui seront probablement interrompues pendant le conflit, et peut-être plus longtemps, vont aggraver le déficit de notre balance commerciale et affaiblir notre économie.
Un risque de déstabilisation mondiale
Le conflit en Ukraine, va fortement perturber la production de céréales dans ce pays et diminuer de façon significative la disponibilité des céréales alimentaires dans les pays importateurs. A l’instar des émeutes de la faim qui avaient embrasé en 2008 les populations de l’Égypte, du Burkina Faso, de Mauritanie, de Côte d’Ivoire, du Mexique, de Thaïlande, du Sénégal, de Madagascar, d’Haïti qui avaient pour origine l’augmentation soudaine et importante du prix des denrées alimentaires de base, la conjonction d’une pénurie de denrées et de l’augmentation de leur prix pourrait avoir des conséquences explosives. A titre d’exemple, le Liban importe la moitié de son blé d’Ukraine et de Russie. Et selon le porte-parole des importateurs de cette filière, le Liban a seulement un mois et demi de stock pour l’instant. En Tunisie, 50% du blé vient d’Ukraine.
Quelques raisons d’espérer ?
Le méthaniseur, méthode moderne pour capter le méthane de la décomposition de la matière organique
Les producteurs les moins impactés pourraient être les agriculteurs Bio. N’étant pas dépendants des fertilisants azotés chimiques, ils seraient exemptés des inconvénients précités. Mais ils seraient eux aussi impactés par la hausse des prix des carburants. Par conséquence de la pénurie occasionnée par l’arrêt des importations et de la hausse des prix de l’énergie, les prix des produits conventionnels pourraient égaler ceux des produits Bio. Mais il n’est pas certain que les producteurs conventionnels abandonneraient pour autant les produits de protection des cultures pour se convertir en Bio. Les producteurs Bio ont besoin des effluents des productions animales pour la fertilisation azotée dans leurs terres. Mais les associations du bien-être animal sont opposées à « l’exploitation » de l’animal par l’homme…
Et la généralisation de la Bio risque d’avoir les mêmes effets qu’au Sri Lanka qui a dû faire rapidement marche arrière sur sa décision du 100% Bio.
La baisse de rendements induite par le manque ou la cherté des fertilisants se traduira par une hausse générale des prix à la consommation fatale pour les consommateurs aux bas revenus.
Une économie dépendante de l’énergie et des échanges
Au regard de la progression de l’armée russe en Ukraine et de la volonté affichée de son dirigeant de mettre en œuvre des moyens effrayants, notre économie pourrait être rapidement paralysée par des frappes de missiles sur nos centrales électriques. Plus d’électricité, cela signifie plus d’informatique, plus de distribution d’eau, de carburants, de nourriture, engorgement des réseaux d’eaux usées, etc..
L’agriculture serait rapidement impactée, les groupes électrogènes ayant vite consommé les citernes de carburant.
A terme, l’agriculture pourrait se libérer, au moins partiellement, de la dépendance énergétique en affectant des surfaces aux cultures énergétiques pour produire du Bio-carburant.
Mais ces surfaces viendraient en déduction des surfaces consacrées aux productions alimentaires, ce qui aggraverait la pénurie alimentaire décrite plus haut.
La production de Biogaz est un autre volet de l’indépendance énergétique de l’agriculture, mais le rendement en biomasse qui alimente les digesteurs est lui aussi tributaire de la fertilisation azotée.
Conclusion
La mondialisation, qui a séduit les populations en proposant aux citoyens des pays pauvres des débouchés rémunérateurs et à ceux des pays riches de pouvoir acheter à des prix bas trouve dans ce conflit l’illustration de ses limites.
La perte de notre autonomie, déjà illustrée par le manque de masques, de médicaments, de composants électroniques, va atteindre un niveau critique supérieur, car manger ne se diffère pas et ventre affamé n’a plus d’oreilles. Les affrontements ont toujours existé, depuis les clans des cavernes jusqu’à nos économies modernes. Le meilleur moyen d’éviter la guerre, c’est de s’y préparer (Patricia Mirallès, LREM).
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