Viticulture, le temps des vaches maigres ?
Viticulture, le temps des vaches maigres ?
Avec 45,6 millions d’hl de vin produits en 2022, juste derrière l’Italie (49,8) et devant l’Espagne (35,7) la viticulture française représente un secteur économique majeur pour notre pays.
Le marché des vins et spiritueux regroupe plus de 700 000 emplois soit 2,3% de la population active en 2022. Il se traduit par un chiffre d’affaires 22,82 Mds d’Euros pour cette même année. Avec 17,2 Mds d’€ issus de l’exportation, le secteur est un acteur majeur dans notre économie, sachant que la balance commerciale globale française accuse pour cette année 2022 un déficit record et abyssal de 164 Mds d’€.
Un avenir inquiétant
Dans un univers mondial où l’offre et la demande font et défont les marchés, il est intéressant de regarder l’état des équilibres.
Sur ces deux graphiques superposés dans les valeurs et dans le temps, il apparaît clairement que la production est en moyenne excédentaire de 14% sur la consommation.
La variabilité annuelle des productions s’explique par les conditions climatiques et les variations extrêmes résultent des aléas climatiques (gelées printanières, grêle, excès de sécheresse, attaques de mildiou, oïdium, ou insectes ravageurs). Il semble que 2023, avec des excès climatiques cumulés atteigne des records de baisse de rendements. Les vignerons du sud-ouest ont subi d’énormes pertes par la grêle et le mildiou. Le parcelles conduites en Bio ont été les plus sensibles, les fongicides systémiques leur étant interdits. Les vignerons ont été pris en ciseaux entre la nécessité de traiter plus souvent pour pallier le lessivage du cuivre par la pluie et la dose de ce dernier limitée par la réglementation.
Le 8 novembre dernier, les 122 députés présents ont voté à l’unanimité un amendement qui permet la mise en œuvre d’un fonds d’urgence sous minimis de 20 millions d’Euros pour accompagner les viticulteurs victimes des dégâts de mildiou. Cette aide est plafonnée à 20 000€ sur trois années glissantes.
Les vignerons bordelais en crise
Durement touché par une baisse de 32% de consommation du vin rouge, (93% des consommateurs préfèrent le blanc), le vignoble bordelais composé à 85%de cépages rouges a subi de plein fouet cette récession. Une cellule de crise à la préfecture de la Gironde a permis, en accord avec l’interprofession, de décider le 17 04 2023 un arrachage de crise qui concernera 1/3 des vignerons. Ce projet sera financé à hauteur de 38M€ par l’Etat, 10M€ par la région et 9M€ par l’interprofession qui s’appuiera sur un prêt remboursable en 20 ans.
Le vignoble de Bordeaux comprend 117 500 Ha de vignes répartis en 37 AOC. Ce plan 2023 concernera l’arrachage d’environ 9 500Ha de vignes en capacité de produire à hauteur de 6 000€ par Ha. En effet, la crise qui dure depuis plusieurs années a conduit certains vignerons à laisser des parcelles à l’abandon pour limiter les frais et tenter de reculer la faillite. Si les besoins dépassent le budget alloué, les quelques 333 viticulteurs s’étant déclarés décidés à arrêter, représentant quelque 6400 Ha seront servis en priorité. Un plan d’assainissement du vignoble qu’a déjà connu l’appellation Cognac il y a quelques années.
L’abandon d’entretien de leurs vignes par certains a d’ailleurs aggravé la situation des vignerons voisins, car non préservées des maladies et des insectes ravageurs (mildiou, cicadelles de la flavescence dorée), ces parcelles ont été des ilots de contamination et de propagation. 2023 a vu la récolte de certaines parcelles totalement anéantie par le mildiou.
Changement des habitudes des consommateurs
Le cliché du français avec son béret, sa baguette de pain et sa bouteille de rouge à vécu. Les goûts des consommateurs évoluent au gré de la publicité, des messages gouvernementaux et des influences des réseaux sociaux.
Ce graphique démontre clairement que si la consommation de spiritueux a peu varié depuis 62 ans, la consommation de vins a chuté de 71,5%. Mais celle de la bière a tendance à augmenter depuis 2016. Les Français consomment moins et privilégient les signes de qualité (AOC, HVE, Bio) dont le prix limite la quantité dans les budgets.
Cette tendance n’est pas sans incidence pour les vignerons. En effet, les contraintes liées aux labels, notamment en Bio, augmentent les coûts de production, limitent les rendements (phytos et fertilisants limités ou bannis) et entraînent des frais de certification quelquefois conséquents et toujours répétitifs.
La concurrence étrangère
Tous les producteurs étrangers soutiennent des actions de promotion dynamiques, tant au niveau de la qualité que du marketing. Un accord commercial exonère des droits de douane l’importation en Chine de vins australiens alors que les vins Français sont taxés à 14%. Il en résulte une augmentation de 60% de l’importation des vins australiens en Chine.
Les producteurs étrangers bénéficient de conditions de production plus favorables. Les réglementations environnementales sont généralement moins contraignantes, les salaires et les charges sociales moins élevés, la lutte antialcoolique moins prégnante.
Les facteurs de compétitivité des prix sont détaillés dans une étude de France-Agrimer (p18-22). Il en ressort pour les principaux : coût de la main d’œuvre plus élevé, des pratiques culturales, exigences environnementales excessives, taxation foncière et successorale ruineuse.
La nouvelle réglementation des ZNT (Zones Non Traitées) est un lourd handicap pour l’agriculture française, et encore plus pour la viticulture. Les vignes voisines d’habitations (dont certaines ont été construites sans distance de retrait) ne peuvent être protégées des maladies et des prédateurs sur des distances de 10 à 20 mètres selon les produits phytos utilisés. Les surfaces concernées doivent être arrachées pour ne pas devenir des noyaux de contamination et de propagation.
Une éclaircie passagère
Le remède de cheval du bordelais a déjà été appliqué dans le vignoble du cognac. En 1997, un plan d’adaptation viticole d’arrachage, de surgreffage ou de diversification pour épurer 15% de la superficie du vignoble et les écarter de la surproduction de cognac avait été mis en place par l’interprofession. L’arrachage définitif, sans droit de replantation avait été financé par des primes de l’Etat et de Bruxelles.
L’équilibre n’a été retrouvé qu’une dizaine d’années plus tard. Puis, la conjoncture économique étant devenue favorable, le négoce de l’interprofession a fait pression sur la famille viticole d’abord pour augmenter le quota de production qui a atteint 14,73Hl Alcool pur par ha en 2022, pour une production réelle de 12,86Hl/AP/Ha.
Mais les arbres ne montent pas au ciel. L’euphorie d’une dizaine d’années de croissance des ventes est en train de produire les effets habituels :
Lorsque la production, comme on le voit ci-dessus est trop excédentaire par rapport aux ventes, les cours s’effondrent. On voit déjà sur le second marché de la place de Cognac (transactions hors contrats avec les grandes maisons) les cours s’effondrer de moitié. Certains viticulteurs en contrats avec les grandes maisons se voient en 2023 refuser des échantillons. Le « mauvais goût de surproduction » est mortifère. Et ce n’est qu’un début… Malgré l’écart délétère du graphique, l’interprofession s’est accordée depuis 2018 16 836 Ha de plantations nouvelles, soit une augmentation de plus de 20% de son potentiel de production. Ces plantations ne sont pas encore toutes en production. Le delta production/ventes s’aggravera d’autant, et la viticulture charentaise risque de plonger dans les affres de sa voisine bordelaise. Les hommes ont la mémoire courte, et les anciens ne sont pas écoutés. La production des 30 000 Ha de plantations en appellation cognac des années 70 a mis 20 ans à être écoulée, malgré les arrachages massifs qui avaient suivi.
Si faire et défaire c’est toujours travailler, bien gérer c’est prévoir et anticiper.
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