papyrural, Le blog d'Armand PAQUEREAU

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Pourquoi tant d'agriculteurs se suicident

C’était pourtant un merveilleux métier, peut-être le plus précieux car il est à la base de la vie : il produit l’alimentation indispensable à tous les citoyens. Certes un métier difficile, car le salaire du paysan « couche » dehors toute l’année, tributaire du mauvais ou du trop beau temps, des attaques d’insectes ravageurs ou des maladies des plantes ou des animaux. Mais les différentes générations de paysans qui se sont succédé ont su s’affranchir de ces difficultés par l’inventivité, la patience, l’économie, la parcimonie qui sont leurs gènes communs.

Ils ont su organiser le stockage pour pallier aux pénuries et les famines du moyen âge ont fait place à une pléthore de denrées dans les rayons des supermarchés. Ils ont su améliorer leurs méthodes de culture, de fertilisation, de protection contre les maladies et les ravageurs.

Au fil des siècles, ils ont su s’adapter aux conditions du moment et même pendant les pires périodes de guerre, ils ont su produire de la nourriture pour leurs compatriotes. Nos concitoyens ont totalement rayé de leur mémoire collective les affres de l’approvisionnement alimentaire des années de guerre. Mais voilà qu’arrivés à un point où les denrées alimentaires n’ont jamais été aussi abondantes et sûres, ils remettent en cause les moyens qui ont permis cette situation de confort alimentaire.

La modernisation technique des moyens de production a permis un énorme boom de productivité individuelle et collective, mais la diminution du nombre de paysans, la concentration des productions et l’utilisation de la chimie sont le lourd tribut sociétal en résultant.

Certes l’action des environnementalistes pour diminuer l’utilisation de produits chimiques est légitime, encore que la longévité des populations n’avait jamais atteint un tel sommet.
Mais la superposition des règles qui étouffent les paysans devient intolérable et contre-productive. D’autant que la mise en vigueur de la réglementation n’est jamais précédée d’une évaluation de ses impacts et conséquences. Ainsi, les éleveurs qui avaient investi dans des agrandissements de leurs installations n’ont pas pu atteindre le nombre d’animaux prévus par les plans de développement initiés par les pouvoirs publics du fait de l’instauration des quotas laitiers, créant une situation économique intenable.
 Il en est de même pour le passage au registre cadastral graphique : pourquoi avoir révisé plusieurs fois la précision de document, obligeant les exploitants à faire les frais de mise à jour auprès de leurs prestataires de services, alors que cette mesure n’a aucune incidence sur la surface totale servant d’assiette au versement des mesures compensatoires de la PAC.
Même scénario pour les différentes phases successives de la directive nitrates : sous prétexte de limiter la teneur des eaux en nitrates, on a obligé les éleveurs à stocker les effluents de leur animaux pour une durée de 4 mois, puis peu de temps après pour une durée de 6 mois. La résultante a été un abandon de la production par de nombreux éleveurs, incapables d’assumer financièrement les investissements induits par des mesures aussi ridicules qu’inutiles. Ridicules car cela ne diminue pas la quantité d’effluents, et inutiles car il est maintenant démontré que les nitrates ne sont ni toxiques, ni dangereux, mais bénéfiques.

Non seulement les paysans sont confrontés à une concurrence économique féroce au niveau européen et mondial, mais la France fait preuve d’un zèle acharné pour surajouter aux réglementations européennes. Il en résulte des situations ubuesques dont les paysans font les frais.

Comment un agriculteur peut-il prétendre protéger sa récolte (traitement obligatoire contre la cicadelle de la flavescence dorée) si on lui oblige de traiter à la tombée du jour et que la réglementation sur le bruit le rend passible de poursuites pour nuisances sonores dès le début de la nuit.
Comment peut-il protéger sa récolte quand la conjugaison des restrictions des conditions d’intervention relève de l’impossible. Entre la vitesse du vent, les distances limites avec le voisinage, les délais de pénétration dans les parcelles et l’absence de pluie, il devient utopique de traiter sans enfreindre au moins une des interdictions. L’expérimentation SANZ, menée en 2008 dans le  Lot et Garonne en collaboration avec la Chambre d’Agriculture et sous contrôle d’huissier a permis de prouver que l’application drastique de l’arrêté phyto du 12 09 2006  conduisait à la perte totale de la récolte.

Mais certaines associations écologistes (1) veulent aller encore plus loin : « rendre obligatoire les anémomètres embarqués sur les tracteurs pour mesurer la force du vent et vérifier que l’arrêté de 2006 a bien été respecté ; la mise en place de « manches à air » visible de tous, agriculteurs comme riverains ou gendarmes ; un avertissement obligatoire des populations 48h avant chaque épandage par l’agriculteur via un courrier (postal ou électronique) + affichage en mairie »…
Ainsi, il sera impossible de traiter sans être répréhensible : la moindre saute de vent dépassant les 19km/h sera enregistrée et passible de sanctions à postériori.  Et comment assurer de tels avertissements de traiter !

Si de telles préconisations venaient à être légalisées, il est bien évident que le métier d’agriculteur sera suicidaire. Et on ne peut prétendre que les producteurs Bio seraient épargnés, car eux aussi doivent protéger leurs récoltes. La réduction envisagée des doses annuelles de cuivre qui leur sont allouées les menace tout autant.

Le paysan, qui a pour vocation de nourrir les populations est de plus en plus squeezé par des prix qu’il ne peut maîtriser, une gestion de son entreprise qui se résume à la ceinture qu’il faut resserrer chaque fois un peu plus, et une réglementation qui l’empêche d’exercer correctement son métier.
De plus, il est confronté à une sorte d’expropriation sournoise. Si la réglementation prévoit des limites d’implantation de ses installations relativement au voisinage, aucune limite (sauf PLU) ne s’impose  au rurbain qui fait construire sa maison près du champ du paysan. Par contre, les limites d’épandage qui sont imposées au paysan par la suite dans ce champ le privent d’une exploitation sereine de son fonds.
De plus en plus d’actions en justice sont intentées envers les paysans pour nuisances de voisinage. L’article 112-16 du code de la construction protège en principe les installations qui bénéficient d’une antériorité d’existence, mais la notion d’évolution annihile cette protection. Ainsi, un élevage dont le nombre d’animaux s’est accru depuis l’installation d’un voisin peut être remis en cause si celui-ci décide d’ester en justice.

Face à un environnement réglementaire de plus en plus contraignant, une opinion publique de plus en plus injustement accusatrice, le paysan qui accumule les heures de travail dont la rémunération devient aléatoire, voire nulle, perd pied.
Comment pourrait-il en être autrement lorsque, en plus de cette précarité, le malheur vient le frapper. Un bovin de son élevage est atteint de tuberculose bovine : il faut abattre tout le troupeau ! Un peu comme si dans un cas de méningite, on décidait d’éliminer tous les élèves de la classe…
Ou lorsqu’un de ses employés, qui n’a pas obéi aux règles de sécurité a un accident, comment le chef d’entreprise peut-il être derrière chaque employé pour le surveiller à chaque instant ?
Comment le chef d’entreprise peut-il être serein quand il s’astreint à respecter le code  du travail, et qu’à la suite d’une maladresse un employé est victime d’un accident. De nombreux jugements ont engagé la responsabilité de l’employeur au motif que s’il y a eu accident, c’est qu’il n’a pas pris les mesures suffisantes pour l’éviter !

Aux incertitudes et difficultés ancestrales du métier s’ajoutent les déclarations préalables à toute action, les enregistrements de tous les détails,  les vérifications qui s’ensuivent avec la confrontation avec certains agents imbus de la prédominance de leur fonction. Le paysan ne peut plus faire face aux impossibilités qui lui sont opposées. Il n’est donc pas étonnant que cette profession soit celle qui comporte le plus grand nombre de suicides.

Le paysan, par nature digne et indépendant, respectueux de sa terre et de ce qu’elle porte, se voit injustement traité de pollueur, de profiteur de primes, acculé à des horaires de travail innombrables qui ne lui rapportent plus aucun salaire en finit par envisager de quitter ce monde qui n’est plus le sien.

Dénigré par l’opinion, fustigé par les médias, harcelé par les contraintes, il suffit d’un malheur de plus au moment inopportun, un contrôle insupportable parce qu’injuste et excessif pour que le paysan sacrifie sa vie pour échapper à la malédiction.

Attention toutefois que cet environnement délétère, engendré par une réglementation infernale n’aboutisse pas, lors d’un dernier contrôle par la mort du contrôleur et du contrôlé.

Il est toujours dangereux de pousser un homme au désespoir. Un homme désespéré est incontrôlable, et dans ce cas seul le pire est prévisible.

Armand PAQUEREAU

7 octobre 2015

 


 (1) http://www.generations-futures.fr/2011generations/wp-content/uploads/2014/10/CP161014_PNSE3-1-VF.pdf



06/11/2020
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